Droits des enfants

Interview Jérémie Beja

Bonjour Jérémie Beja, en plus d’être un parent d’élève du Lift, vous êtes aussi un expert technique international mandaté sur la thématique des droits humains. La semaine dernière, nous célébrions la journée internationale des droits de l’enfant. Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont cette thématique est abordée à Taïwan ?

La journée des droits de l’enfant découle de l’adoption de la déclaration des droits de l’enfant en 1959 et plus encore de l’adoption de la convention relatives aux droits de l’enfant en 1989. En raison de son statut particulier sur la scène internationale, Taïwan n’est pas signataire de cette convention. Néanmoins, depuis 2009, le Yuan législatif a commencé à transposer les principales conventions internationales de protection des droits humains dans le droit taïwanais en votant des lois qui reprennent les textes des conventions.

Taïwan n’étant pas membre de l’ONU, comment l’application de ces conventions est-elle vérifiée ?

Taïwan a développé un système particulier de contrôle de l’application de ces conventions fortement inspiré de la pratique onusienne. Tous les quatre ou cinq ans, un comité d’experts indépendant vient à Taipei pendant une semaine et rencontre les ministères, les ONG et les représentant.es de personnes protégées par les conventions. A titre d’exemple, un de ces comités est venu mi-novembre pour évaluer l’application de la convention relative aux droits de l’enfant. Ce matin (EN CAS DE PUBLICATION VENDREDI PROCHAIN) le comité qui évalue l’application de la convention pour l’élimination des discriminations faite aux femmes (CEDAW) vient de publier sa liste de recommandations aux autorités taïwanaises.

Quelles ont été les principales recommandations du comité d’experts sur les droits de l’enfant ?

Tout en reconnaissant les efforts déployés par les autorités taïwanaises au cours des cinq dernières années et les progrès effectués dans de nombreux domaines, le comité d’experts a rendu une liste de soixante-dix recommandations (c’est une pratique courante, la France en a reçu plus de quatre-vingt-dix en 2016). Pour rester dans le domaine scolaire, les principales inquiétudes exprimées par le comité ont trait à l’extrême compétitivité du système scolaire qui conduit à de sérieuses atteintes au droit au repos et au jeu des enfants taïwanais (notamment en raison de la quantité de devoirs et du caractère répandu des buxiban). Il estime également que cette compétitivité est une cause possible du taux de suicide particulièrement élevé chez les jeunes taïwanais et enjoint les autorités à faire davantage d’enquêtes sur ce sujet. Il s’inquiète enfin des cas de violence physique et psychologique exercées par le corps professoral sur les enfants et des insuffisances du système de prévention actuel, qui n’enclenche d’enquête disciplinaire qu’à la suite d’une preuve tangible de violence physique.

Comment les droits des enfants peuvent-ils ou doivent-ils dialoguer avec les activités d’une école ?

Les droits de l’enfant doivent être intégrés dans l’ensemble des activités scolaires et pas uniquement enseignés à part même si l’on peut évidemment imaginer des formats adaptés pour faire connaître la Convention des droits de l’enfant aux élèves. Il faut à tout prix éviter le syndrome du « cochage de case » qui consisterait par exemple à développer un cours sur la Convention des droits de l’enfant tout en négligeant les droits qui y sont inscrits dans la vie quotidienne de l’école.

Respecter les droits de l’enfant est donc autant un processus performatif, une philosophie à intégrer dans la pédagogie que le développement d’infrastructures
ou de mécanismes ponctuels.

Quelles seraient vos recommandations concrètes et immédiates pour le LIFT ?

Le LIFT me semble déjà mettre l’intérêt de l’enfant au cœur de ses principes pédagogiques. Il limite les devoirs, favorisant ainsi le droit au jeu et au repos des enfants, favorise le travail en groupe et « décentre » le rôle de l’enseignant.

Je ne suis pas expert des droits de l’enfant, loin s’en faut, ni enseignant ou éducateur donc il m’est difficile de faire des recommandations immédiates. J’imagine qu’à terme, avec l’ouverture de nouvelles classes et l’augmentation des classes d’âges, peut-être faudra-t-il réfléchir à un système de prévention des violences physiques et psychologiques. En effet, l’utilisation des smartphone et des réseaux sociaux par des enfants de plus en plus jeunes a fait exploser les phénomènes d’humiliation publique en ligne notamment chez les collégiens. C’est d’ailleurs un des sujets abordés par le Défenseur des droits de l’enfant dans son rapport annuel 2022. On peut d’ores et déjà réfléchir à l’installation d’un système de dépôt de plaintes anonymes adapté aux enfants. Il ne s’agit pas de favoriser la délation mais de permettre aux enfants d’exprimer leurs problèmes. Néanmoins, il faut s’assurer d’être en mesure d’y répondre rapidement autrement installer une boîte à messages sans traiter les demandes peut être pire que ne pas avoir de boîte du tout.

Quel est pour vous et pour vos enfants le plus important dans une école ?

Vous m’auriez posé cette question avant que je participe à la révision de l’application de la Convention des droits de l’enfant par les experts internationaux je vous aurais répondu par une liste de critères plus ou moins objectifs ou personnels. Lors de ses conclusions, le Président du comité d’experts a rappelé que l’un des buts de la Convention était de faire en sorte que tout enfant soit heureux d’aller à l’école et puisse s’y épanouir. C’est sans doute un poncif, mais c’est important de se le rappeler de temps en temps. En tant que parent on peut rapidement être obnubilé par les notes ou l’envie de voir son enfant entrer dans des écoles/universités prestigieuses pour lui garantir son avenir. C’est évidemment un sentiment naturel mais il est bien de se rappeler aussi de l’importance de son bonheur au quotidien.

Portes ouvertes

11 janvier 2025
9h30 -12h